Explication : postambule de la déclaration d’Olympe de Gouges
Voici l’explication de texte du début du postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) d’Olympe de Gouges.
Voici le texte
Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets de la nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs Français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir.
Et notre explication
Commençons par situer l’œuvre d’Olympe de Gouges dans son contexte de l’époque.
L’extrait que nous allons étudier est le début du « postambule » de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui sert de conclusion à ses dix-sept articles.
Nous étudierons le texte selon trois parties :
- Du début jusqu’à « des injustices de l’homme. » : la prise de conscience des femmes.
- De « Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? » jusqu’à : « Tout, auriez-vous à répondre » : mettre fin l’aveuglement des femmes.
- De « S’ils s’obstinaient » jusqu’à la fin : les actions pour parvenir à l’égalité.
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1. La femme doit prendre conscience que l’homme l’a flouée.
Cet extrait entretient un écho avec le passage intitulé « Les Droits de la femme » qui précède la Déclaration. En effet, les deux textes sont d’abord introduits par une apostrophe interpellant directement les destinataires.
Alors que Les Droits de la femme est introduit par une adresse aux hommes à travers la formule « Homme, es-tu capable d’être juste ? » qui, par sa modalité interrogative et le recours au tutoiement, interpelle la gent masculine et lui demande de mettre un terme à son habitude de vouloir dominer les femmes, l’apostrophe initiale du postambule, « Femme, réveille-toi », use de la même tonalité polémique pour que les femmes cessent d’accepter passivement l’injustice de leur situation.
L’autrice crée ainsi un effet d’écho entre les deux textes, l’un appelant une prise de conscience des hommes et l’autre, des femmes.
Les deux impératifs « réveille » et « reconnais » doivent pousser les femmes à agir rapidement.
L’allégorie de la raison devenue une cloche d’alerte, le « tocsin », présente ce moment comme un tournant décisif, une prise de conscience liée au moteur des Lumières, la raison.
La négation partielle « … la nature n’est plus… » indique une rupture temporelle liée à la fin de l’Ancien Régime et au début d’une nouvelle ère due à la Révolution.
L’énumération « de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges » cible une ignorance et une intolérance contre lesquelles les femmes doivent lutter. Elle oppose ici deux comportements antithétiques :
-
- l’un favorable au progrès, à la raison dispensatrice de connaissances
- l’autre enraciné dans l’ignorance et l’imposture.
La lumière de la vérité doit donc se propager afin de lutter contre l’obscurantisme et engager les femmes sur la voie de la révolte puis de l’émancipation.
A travers la métaphore filée, la « vérité » est implicitement comparée à un « flambeau » dispensateur de lumière. Elle se déploie dans la suite de la phrase avec la métaphore des « nuages de la sottise et de l’usurpation », formant ainsi une antithèse entre la lumière et l’obscurité créée par les nuages.
Cette vérité rappelle celle qui désigne la philosophie des Lumières, qui s’appuie sur la raison pour dissiper les préjugés. L’Homme du XVIIIe siècle doit être un être rationnel, dont on peut attendre compréhension et tolérance. Il doit lutter contre les formes de pouvoirs oppressifs qui récusent les valeurs d’égalité et de liberté, d’action ou de pensée.
Le champ lexical de la révolte est composé des termes « forces » , « réclamation » , « détruit », « étendards » et de l’expression « briser ses fers ». Il comprend également l’antithèse entre « leur faiblesse » et « la force ». On peut aussi noter la progression lexicale de « l’homme esclave » à « devenu libre » qui permet de souligner le caractère émancipateur de cette révolte rejetant l’assujettissement au profit de l’affranchissement.
Cette isotopie linguistique traduit certes l’indignation d’Olympe de Gouges devant les inégalités entre les hommes et des femmes mais il s’agit surtout d’un appel à la mobilisation, d’une incitation à une prise de conscience qui doit mener à des actions d’insoumission.
Deux époques s’opposent dans cet extrait. Dans cette partie, l’emploi dominant du passé composé « a dissipé », « a multiplié » , « est devenu », « que vous avez recueillis », « vous avez régné », « est détruit », permet à Olympe de Gouges de dresser un bilan amer des acquis de la Révolution : les femmes ont été les oubliées des principes en théorie égalitaires et progressistes des révolutionnaires.
2. L’auteur essaie de vaincre les réticences des femmes en les sortant de leur aveuglement.
L’invocation « ô femmes ! » et la question oratoire « quand cesserez-vous d’être aveugles ? » exhorte la gent féminine à une prise de conscience collective et à une mobilisation immédiate, elle doit insuffler aux femmes toute l’indignation nécessaire pour entreprendre une lutte active contre les inégalités faites à leur endroit car l’auteur les considère comme responsables de leur asservissement.
La connotation positive du nom « avantages » disparaît au profit des termes péjoratifs « mépris », « dédain » qui soulignent la dépossession subie par les femmes. Les valeurs prônées par les Lumières tardent à devenir principes de réalité. Ainsi, le parallélisme « Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé » insiste sur l’infériorisation de la femme.
Ensuite comme le montre le champs lexical du pouvoir « régné », « faiblesse », « empire », « patrimoine », contrebalancé par la négation restrictive « ne… que », les femmes se sont bercées d’illusions quand elles ont cru qu’elles jouaient réellement un rôle dans la société. Elles doivent regarder leur situation en face et comprendre qu’elles sont victimes d’une injustice lorsqu’on leur prend leur pouvoir naturel, leurs droits naturels.
Dans l’épisode biblique des noces de Cana, relaté dans l’Evangile selon Jean (Jean 2, 1-11), Jésus répond à sa mère qui l’informe que les invités n’ont plus de vin : « Femme, que me veux tu ? », ou dans une autre traduction à laquelle Gouges fait référence : « Femme, qu’y a t il de commun entre toi et moi ? ».
Cette phrase a souvent été utilisée pour montrer la misogynie du Christ, de la religion chrétienne. On peut l’interpréter d’une autre manière : Jésus, par le mot « femme », renvoie sa mère à sa condition d’être humain, tandis que lui, fils de Dieu, s’apprête à accomplir son premier miracle en changeant de l’eau en vin, et ainsi à révéler sa nature divine. La traduction littérale, qui serait : « Femme, quoi de toi à moi ? » pourrait être reformulée d’autres manières, par exemple : « Femme, qu’attends tu de moi ? »
La conjonction à valeur d’opposition « mais » insiste sur le fait que la Révolution française a posé les bases de la laïcité, de la dissociation entre l’Église et l’État (cf l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. ).
La morale « accrochée aux branches de la politique » est associée dans cette métaphore à une plante parasite.
L’auteur souffle une réponse à la fois inattendue et sans appel par l’emploi du conditionnel présent : « Tout, auriez-vous à répondre. »
3. Les femmes doivent mobiliser leur intelligence pour venir à bout des réticences des hommes et obtenir l’égalité.
« S’ils s’obstinaient, etc. », cette première phrase est une période – c’est-à-dire d’une phrase complexe – d’une très grande ampleur, elle construit un effet d’attente : l’esprit du lecteur doit rester en suspens jusqu’à la fin de la phrase, qui est comme un épanouissement de la pensée.
Cette période est marquée par des effets rythmiques créés par l’emploi fréquent des verbes à l’impératif « opposez », « réunissez-vous », « déployez » qui emportent l’adhésion du lectorat. L’effet d’amplification est ainsi renforcé par la gradation accumulative de la phrase qui accroît l’intensité et le dynamisme des propos.
Face au constat établi préalablement, l’autrice veut mobiliser les femmes en les incitant à se révolter pour leurs droits. Elle emploie pour cela des phrases injonctives à l’impératif présent puis des verbes au futur simple « cesserez-vous » et « vous verrez ». Ce dernier temps verbal, associé à l’adverbe « bientôt » exprime la certitude de lendemains meilleurs, marqués par un engagement volontaire de femmes qui aboutira à une égalité hommes-femmes effective et non plus seulement théorique.
L’auteur propose donc trois solutions toutes fondées sur l’intelligence des femmes et leur fermeté comme en témoigne le champ lexical de la pensée et de la sagesse : « raison », « philosophie », « caractère ».
La métaphore des « étendards » renvoie à l’une des armes mobilisatrices des soulèvements révolutionnaires.
Dans la dernière phrase, si, pour Olympe de Gouges, toutes les femmes, quelles que soient leurs origines ou leurs conditions, sont bien les victimes de l’oppression des hommes et d’une société inégalitaire, elles doivent aussi être capables d’unir leur force et leur détermination dans la lutte pour la reconnaissance de leurs droits. Par l’emploi du pluriel « les barrières », l’autrice les encourage donc à une révolte commune qui, parce qu’elle s’exprimera au nom de toutes, se révélera efficace. C’est ainsi qu’il faut comprendre les formules d’incitation et de soutien qui clôturent l’extrait : « il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. ».
L’antithèse entre « pouvoir » et « vouloir » souligne qu’il s’agit de la décision des femmes et la négation restrictive « ne…que » donne une impression de facilité : les femmes ne doivent pas avoir peur de prendre les choses en main, elles sont dans leur bon droit.
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