Exemple de commentaire composé au bac de français : Dom Juan (4/4)

Nous terminons notre série de la semaine consacrée au commentaire composé de l’épreuve anticipée de français en classe de première. Après avoir vu le travail préparatoire, distillé des conseils de rédactions et étudié un premier exemple tiré de La princesse de Clèves, voyons aujourd’hui un exemple consacré à Dom Juan.

Dans l’objectif d’aider le futur candidat à l’épreuve anticipée du bac français, nous proposons un corrigé possible du commentaire littéraire de la tirade finale de Sganarelle tiré de la pièce Dom Juan de Molière. Cet exercice s’inscrit dans la suite logique des différents exercices conseillés (lecture de l’oeuvre dans la bibliographie) ou proposés avec corrigés (Questionnaire d’entraînement ou étude des notions clefs). L’élève pourra s’y reporter pour s’exercer ou réviser.

Tirade finale de Sganarelle (Molière, Dom Juan, I, sc. 1)
Exemple commentaire composé Dom Juan
Sganarelle
Je n’ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu’il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n’en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m’a point entretenu ; mais, par précaution, je t’apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d’Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances chrétiennes qu’on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse : crois qu’il aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n’est là qu’une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d’autres coups de pinceau. Suffit qu’il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jour ; qu’il me vaudrait bien mieux d’être au diable que d’être à lui, et qu’il me fait voir tant d’horreurs, que je souhaiterais qu’il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie : la crainte en moi fait l’office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute au moins : je t’ai fait cette confidence avec franchise, et cela m’est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s’il fallait qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

Le commentaire composé

Dom Juan est une comédie voire une tragi-comédie de Molière représentée en 1665. Cette pièce fit scandale et fut censurée pendant deux siècles, notamment la scène du pauvre (III, sc.2) qui met en scène un Dom Juan corrompu et corrupteur. La pièce fut écrite juste après le Tartuffe, interdit par le roi Louis XIV sous la pression des dévots.

Introduction

La tirade finale de Sganarelle s’inscrit dans la scène d’exposition lors d’un dialogue entre le valet Sganarelle et l’écuyer d’Elvire prénommé Gusman. Dom juan le personnage principal dont Sganarelle fait le portrait, est physiquement absent de la scène.

Dans la perspective de mettre en valeur la tension dramatique de cette tirade qui incite le spectateur ou lecteur à s’interroger sur l’identité fascinante de Dom Juan, nous insisterons sur la dimension caricaturale et comico-dramatique du portrait de Dom Juan, jeune noble libertin. Dans un deuxième temps, nous mettrons en évidence le portrait ambigu que Sganarelle dresse de lui-même.

Développement

Dans cette tirade, Sganarelle dépeint son maître à Gusman et en même temps au public selon le principe de la double énonciation. La manière de s’exprimer de Sganarelle correspond à son statut de valet. Il s’agit d’un langage fleuri qui accentue le grotesque et le ridicule. Sganarelle multiplie les métaphores : « un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique … » (lignes…). L’accumulation des termes révèle davantage les sentiments du valet à l’égard du maître.

On se rend compte que le portrait repose sur des généralités vagues (« tout ce que nous croyons », « un chapitre à durer jusqu’au soir », « bien d’autres coups de pinceau », « qu’il fut déjà je ne sais où »). Par ailleurs, on remarque que Sganarelle ne finit jamais ses phrases.

La phrase « tout ce que nous croyons » invite le spectateur à penser que Dom Juan est un homme libre, sans préjugés. La foi de Sganarelle est en revanche une foi superstitieuse : le valet confond tout: « ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou ».

Notons enfin que ce portrait émaillé d’une série d’invectives et injures chaotiques où la philosophie côtoie la zoologie et l’histoire antique (« une véritable bête brute, un pourceau d’Epicure, un vrai Sardanapale ») est le fruit d’un sot au langage populaire imagé et amusant.

A cette dimension comique s’ajoute une dimension dramatique dans le sens où Dom Juan apparaît sous des traits inquiétants susceptibles d’interpeller le spectateur et le lecteur. En effet, Dom Juan se moque des sacrements de l’Eglise, trompe pour séduire, manque à la parole donnée. On a affaire à l’amorce d’une véritable tension dramatique. Tous les ingrédients de l’action sont ici rassemblés. Sganarelle présente son maître comme un libertin (le mot n’est pas prononcé) libre penseur sans respect pour les croyances et jouisseur qui ne pense qu’à son plaisir. C’est un personnage condamnable et séduisant : c’est un « gentilhomme », « grand seigneur méchant homme » ou comme dit Gusman « un homme de qualité » qui accomplit « une action si lâche ». En réalité, sa noblesse est au service non pas de l’honneur mais de l’accomplissement de tâches moralement répréhensibles. La noblesse est de ce fait dénaturée.

Au-delà du portrait de Dom Juan, Sganarelle dresse son propre portrait. On se rend compte que Sganarelle est un homme crédule, superstitieux et lâche (« la crainte en moi fait l’office de zèle » lignes …), un poltron hérité de la comédie antique. C’est un personnage également pathétique qui dit du mal de son maître et cependant l’excuse (« c’est qu’il est jeune encore, et qu’il n’a pas le courage… »). On devine le drame de Sganarelle tiraillé entre des sentiments divergents, entre amour pour son maître à qui il est indéfectiblement lié et rejet de ce maître qui est en porte à faux avec les valeurs qu’il est censé représenter. Cette dimension pathétique est cependant atténuée par le comique de caractère : Sganarelle est bête (il utilise des mots latins inutiles). Il représente le peuple. On a affaire également à un comique de situation et un comique de mots (il use des expressions populaires) : la fin de la tirade laisse entrevoir un valet désireux de fuir mais poltron au point de se soumettre: « il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie ».

Conclusion

En conclusion, on remarque que ce double portrait explicite et implicite du maître et du valet suscite la curiosité du spectateur qui ne peut rester insensible partagé entre fascination, répulsion et comique. Le rire que provoque Sganarelle permet de soulager la tension extrême qui anime les personnages et la pièce toute entière à venir. Le spectateur est en haleine. Il attend de découvrir le véritable Dom Juan séducteur et libertin qui brave les interdits. Les questions fondamentales sont donc posées dans la scène d’exposition. La question essentielle du libertinage dans le sens du libre-penser et du libre agir au sein d’une société fortement structurée en termes de morale et hiérarchie sociale. Les ingrédients du scandale sont donc déjà présents.

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Vanina Gé
Professeur de français aux Cours Thierry
J'interviens avec le souci constant de répondre au plus près des besoins des élèves de collège et de lycée dans un espace inédit de travail en petits groupes.

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