Les fausses confidences (Marivaux) : titre, personnages & thèmes

Voici un cours sur la pièce de Marivaux Les fausses confidences (1737).

Nous commencerons ce cours par une analyse du titre de la pièce. Après la description de la double énonciation et du stratagème de la pièce, nous en décrirons les principaux personnages. Enfin nous aborderons les thèmes prédominants dans la pièce que sont la parole amoureuse (et le marivaudage) ainsi que le parallèle entre l’argent et l’amour.

L’ensemble de l’œuvre ou certains passages pourront être réétudiés, avec l’aide d’un de nos professeurs, à l’occasion d’un de nos prochains stages de français.

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, dit Marivaux
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, dit Marivaux

Le titre

Le titre associe un adjectif qualificatif et un substantif. Une confidence se définit comme ‘la communication d’un secret qui concerne soi-même » (Petit Robert). Cela évoque la fidélité, la foi (latin fides) et par dérivation la confiance.

Le titre, d’abord au singulier, renvoyait à la confidence de Dubois (acte II, sc. 14). Au pluriel, le titre indique une multiplication des machinations : celle de Dubois et Dorante, et celle d’Araminte.

La confidence implique un locuteur qui transmet un sujet au destinataire qui écoute (énonciation). Toutefois, au théâtre, les objectifs sont différents. La confidence permet d’exposer l’intrigue et l’intériorité du personnage par le biais d’un tiers (le valet, la servante) sans utiliser le monologue. C’est une double énonciation. Dans la pièce de Marivaux, le personnage s’adresse à lui-même (il comprend ses sentiments par la parole), au confident (celui qui écoute et éventuellement conseille) et au spectateur en même temps (lequel peut suivre l’intrigue). C’est une triple énonciation.

La double énonciation dans Les fausses confidences

La double énonciation est fort présente dans la pièce : par le double sens des répliques à l’insu des personnages mais pas du spectateur. Le double sens peut être comique mais aussi inquiétant (Dorante, acte I, sc. 3 et acte II, sc. 3). Dans ces deux passages, il se joue des autres personnages car ils ne peuvent comprendre le jeu de mots, c’est le persiflage. La double énonciation est également présente par le développement du théâtre dans le théâtre (Dubois est personnage et metteur en scène d’un stratagème). Il est le double de l’auteur.

La confidence est fausse. Pourtant, Dubois ne ment pas : l’amour de Dorante est sincère même si la fortune d’Araminte est également un attrait. Ce n’est donc pas le propos qui est faux, mais l’objectif. Cette confidence est faite à bon escient afin de manipuler le personnage, de le transformer et l’amener à être surpris par l’amour et l’accepter.

Le stratagème

Les confidences de Dubois envisagent avant tout de déstabiliser en insinuant dans l’esprit d’Araminte ou de Dorante (acte I, sc. 2) des pensées obsessionnelles. La parole de Dubois agit sur celui qui l’entend : elle est action. Il est possible de mesurer la portée de la confidence afin d’en user (acte III, sc. 1). Ce que l’on dit ou non est calculé.

La parole fait naître l’amour (récit romanesque de la sortie à l’Opéra) recréant un conte. Tout en racontant la naissance d’un amour, Dubois sous-entend sa fidélité et donc sa force. Dubois met en scène dans l’imaginaire d’Aramine l’amour de Dubois, faisant d’elle le personnage principal de cet amour. Elle est l’objet du désir, celle qui déclenche et se trouve flattée de cette position. Dubois met en évidence par ce récit, improuvable, le pouvoir de fascination d’Araminte et flatte son amour-propre.

Mais la parole amoureuse ne suffit pas : il faut lui adjoindre le regard. Le désir de quelqu’un provient aussi du désir que peu éprouver une tierce personne pour celui-ci. Ainsi, si un personnage A est amoureux d’un personnage C sous le regard de B ; B par translation deviendra amoureux de A, du moins il constatera que celui-ci est désirable : c’est la naissance de la jalousie. Voilà pourquoi, Dorante doit plaire à Mademoiselle Marton.

Toute parole manipulatrice, tout stratagème peut être utilisé. Ainsi, Araminte manipule Dorante, le poussant à avouer son amour. C’est le chemin parcouru, proche de la préciosité du XVIème siècle et de la carte de Tendre.

Les deux principaux personnages

Dubois

DuboisIl est valet de condition, anciennement au service de Dorante et maintenant à celui d’Araminte, connaisseur des sentiments et maîtrisant le langage. Son assurance est sans égal dans les affaires amoureuses. Il peut alors affirmer dès la deuxième scène « la réussite de l’entreprise » de Dorante. Il est celui qui fera avouer à Araminte ses sentiments pour Dorante. A ce titre, Dubois peut être considéré comme un metteur en scène, organisant les sentiments de chacun. Il devient le relais de Marivaux gérant l’intrigue, les rôles, les analyses psychologiques. Mais il représente également le spectateur car il est observateur des tourments que vit Araminte. Si Dubois est sûr de lui, c’est qu’il connait le cœur humain, les passions et le langage.

L’amour est sincère, mais la parole est manipulatrice (acte III, sc. 12). Il s’impose comme la tierce personne en mesure de révéler les cœurs. Il est indiscret et manipulateur, sûr de lui et de son procédé. Il permet aux amoureux de reconnaître leur amour réciproque. Ce sont des amants sans le savoir. Dubois les amène à cette connaissance.

Araminte

AraminteC’est bien Araminte, plutôt que Dorante, qui est au centre de la pièce. Elle est le but, la cible, l’objet du désir, pour sa personne mais aussi pour sa fortune. Elle est veuve, a donc hérité de son mari. Mais surtout, elle n’est plus sous l’autorité d’un père ou d’un mari : elle est libre et devra faire l’expérience de cette liberté qu’elle ne connaît pas. Elle entend expérimenter celle-ci quoi qu’il en soit. Ce qu’elle fait acte III, sc. 6.

Mais la première attirance se double d’un scrupule : que pensera la société – représentée par la mère d’Araminte – de cette attirance, voire de cette alliance avec un pauvre ? C’est cela que devra combattre Araminte. C’est l’objectif du stratagème de Dubois.

Ce conflit intérieur s’apparente aux destinées des héros et héroïnes tragiques. Araminte semble devoir renoncer à son attirance pour Dorante car les autres personnages s’opposent à ce penchant qu’ils devinent et intriguent pour le faire échouer. Araminte est amoureuse, doit le reconnaître et l’accepter pour s’opposer à sa mère et aux préjugés. Cette prise de conscience lui permettra d’accéder pleinement à ses sentiments. Le conflit est intériorisé, entre cœur et raison.

Révéler, pendre conscience de son amour n’est donc pas suffisant. Il faut que cet amour (le cœur) domine les préjugés (la raison) pour se vivre pleinement. Se marier avec Dorante est vu comme une mésalliance, un rabaissement social. S’affronte donc en Araminte le principe de plaisir et le principe de réalité. La pièce se conclut quand Araminte accepte ce qu’elle ressent, l’assume et choisit de le vivre. Ainsi les véritables obstacles sont levés.

La parole amoureuse

Le marivaudage

Marivaudage, marivauder, ces termes péjoratifs au XVIIIème siècle qualifient le langage employé par Marivaux, jugé factice par ses contemporains car ils estimaient que tous les personnages parlent de la même façon quel que soit le rang social.

Le marivaudage est un art de la conversation, acquis par Marivaux dans le salons, héritage de la préciosité du XVIIème siècle, créant ainsi une nouvelle préciosité : conversation spirituelle faite de jeux de mots, de métaphores filées, de double sens et d’une syntaxe complexe et jouant sur différents tons. Il est défini comme un propos, un manège de galanterie délicate et recherchée (Le Petit Robert). Il est preuve de galanterie, d’honneur, de politesse. Dans le marivaudage, le langage est monopolisé pour arriver à des fins, faire aboutir un stratagème : il est une arme contre Araminte. Le ton employé est d’autant plus important que les répliques reposent sur les mots plus que sur le sens.

Le langage est exploité sous toutes ses formes mais doit être employé avec subtilité. Tout peut être dit à condition que cela soit bien dit. Le langage permet de s’élever. Seul Arlequin n’a pas accès à cet art du double sens. Il ne pourra donc pas s’élever.

marivaudage
Scène de marivaudage (Carl Schwenninger)

Langage et amour

Le langage n’est plus un outil de communication. Il est le sujet même de la pièce. Son usage, la capacité à l’exploiter sera le secret de la réussite et témoignera, pour le spectateur, des progrès ou des régressions des personnages dans leur entreprise. Le langage sera la preuve de l’amour.

Le marivaudage procède ainsi : verbaliser l’amour permet au personnage de prendre conscience de ses sentiments (c’est la surprise de l’amour, immédiate, dès le début de la pièce), suivi de son acceptation (aveu pour soi-même) pour, dans un troisième temps, être en mesure de l’avouer aux autres (l’aveu pour les autres et possibilité de le vivre). C’est le chemin que vit Araminte dans la pièce tandis que Dorante en suit un autre : il aime avant le début du premier acte. Il ne peut avouer son amour que lorsqu’Araminte est prête à l’entendre.

Constater son amour ou celui d’un autre n’est pas suffisant : l’aveu doit intervenir pour que cet amour devienne une évidence et donc inévitable.

L’amour vs l’argent

L’obstacle

Les deux thèmes sont intimement liés, soit l’argent est un adjuvant, soit un opposant à l’amour. Araminte possède l’argent, car veuve. La conquérir, c’est conquérir une fortune et une femme. Il en est de même pour Marton et l’autre veuve : toutes sont prêtes à se marier, toutes bénéficient d’une rente imposante. L’argent permet une ascension sociale, un accès à la noblesse (notamment par l’alliance).

De plus, les valets (et les intendants ruinés) qui n’ont pas la possibilité d’évoluer socialement trouvent une alternative soit dans le mariage, soit en s’enrichissant grâce à des investissements, soit par des manœuvres frauduleuses.

Le moyen

La pauvreté de Dorante en fait nécessairement un subalterne, un inférieur social, quelles que soient ses qualités et compétences personnelles. Elle crée un mur insurmontable aux yeux de la société. Ainsi Araminte ne peut être qu’un amour vain. L’intrigue et les stratagèmes de Dubois sont une nécessité pour transformer le regard d’Araminte.

Chacun veut s’élever, ne pas rester dans la catégorie sociale qui lui a été assignée et en même temps la noblesse et la bourgeoisie ne souhaitent que de nouvelles personnes intègrent leur caste. C’est le rôle tenu par Mme Argante et le Comte. Ils complotent contre Dorante afin que leurs affaires – financières ou maritales- restent en vase clos. Pour Mme Argante et le Comte, la corruption devient un moyen pour atteindre leur but.

Dans les fausses confidences, l’argent est aussi un moyen de se voir. Dorante gère les biens, la fortune et donc l’argent d’Araminte (alors qu’il est ruiné). Cette gestion, et par conséquent l’argent, devient prétexte à se parler, se voir : il est l’intermédiaire mettant Dorante en valeur.

Pourtant s’il est pauvre, Dorante à quelque chose à offrir : lui est beau de visage et de corps, et cela suffit. Il prouvera aussi sa fidélité et sa constance.

La conclusion de la pièce permet d’unir les deux thèmes selon les deux points de vue (Argante et Arlequin – scène dernière).

 

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Vanina Gé
Professeur de français aux Cours Thierry
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