Explication linéaire : les droits de la femme – Olympe de Gouges
Nous vous proposons l’explication linéaire du texte d’Olympe de Gouges intitulé « Les droits de la femme », figurant en introduction de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791). Ce texte est une exhortation aux hommes.
Voici le texte
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu le peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.
L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Le professeur de français des Cours Thierry pourra lui-même vous offrir cette explication de vive voix lors de nos cours de soutien en français, ou bien à l’occasion de nos prochains stages de vacances.
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Et notre explication linéaire
Introduction
Pour introduire notre propos, commençons par situer l’œuvre dans son contexte de l’époque. Pour cela vous pouvez vous référer à l’introduction que nous avons rédigée à propos du préambule de cette déclaration.
Le texte d’Olympe de Gouges, que nous étudions, se situe au début de l’œuvre, juste après la dédicace à la reine Marie-Antoinette, et avant de donner les articles de sa Déclaration. Il s’agit d’un court texte, intitulé « Les droits de la femme », dans lequel elle apostrophe les hommes sur un ton catégorique.
Nous nous demanderons en quoi ce texte polémique met à mal la prétendue domination de l’homme sur la femme.
Nous répondrons en suivant le plan en 3 paragraphes que nous intitulerons :
- Interpeller l’homme pour le défier et le placer face à la réalité.
- Faire l’éloge de la nature pour mieux blâmer le comportement des hommes.
- L’homme ignorant est le seul coupable.
1. Interpeller l’homme pour le défier et le placer face à la réalité.
Olympe de Gouges s’adresse aux hommes et elle interpelle directement son destinataire dès le premier mot de son texte « Homme ».
En outre, elle le tutoie, comme le montre l’emploi du pronom personnel sujet « tu » ou encore les déterminants possessifs « ta » et « tes », afin de mettre en avant non seulement un rapport familier mais aussi pour montrer que l’homme et la femme sont sur le même pied d’égalité. Le tutoiement est aussi une manière plus directe de s’adresser à son destinataire, ce qui renforce les propos virulents de l’auteure.
En effet, Olympe de Gouges ne mâche pas ses mots et attaque directement l’homme en remettant en cause sa droiture. Pour mettre en évidence son manque de respect du droit et de l’équité, elle lui demande : « es-tu capable d’être juste ? ». Cette phrase interrogative, formée grâce au point d’interrogation et à l’inversion du sujet, est une interrogation totale directe. Comme l’auteure pose cette question pour interpeller l’homme et qu’elle n’attend aucune réponse de sa part, cette phrase devient une question oratoire.
L’attaque d’Olympe de Gouges se poursuit puisqu’elle s’empresse de spécifier à son destinataire : « C’est une femme qui t’en fait la question » ; elle souhaite le provoquer et elle se sert également pour cela de l’antithèse entre les mots « homme » et « femme » dans les deux premières phrases pour renforcer leur opposition défendue par le sexe masculin.
Enfin, elle écrit : « tu ne lui ôteras pas du moins ce droit ». Il s’agit d’une phrase négative dont la négation repose sur l’emploi des adverbes « ne » et « pas » qui entourent le verbe « ôter », conjugué au futur simple. Cette négation est totale car elle porte sur la totalité de la phrase et signifie que l’homme ne peut pas retirer à la femme le droit de s’exprimer. Seulement, Olympe de Gouges ne peut avoir confiance en l’homme et c’est pour cela qu’elle utilise l’expression « du moins », signifiant « néanmoins ». Puis elle termine cette idée par la question « Dis-moi ? » pour insister sur l’idée que l’homme ne devrait pas oser remettre en cause la liberté d’expression d’une femme.
Elle enchaîne ensuite avec une question avec trois points d’interrogation, toujours dans le but d’apostropher l’homme. D’abord « Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? » met en exergue la domination despotique et cruelle exercée par l’homme sur la femme. Olympe de Gouges emploie le champ lexical de la tyrannie, de manière intensive, pour renforcer cette idée, avec les mots : « souverain », « empire » et « opprimer ».
De plus dans la phrase suivante, elle emploie « empire tyrannique » qui complète ce champ lexical et souligne encore une fois le règne d’autorité certaine. L’auteure souhaite montrer l’emprise de l’homme sur la femme et sa domination constante.
Olympe de Gouges reste discrète dans les premières lignes et n’apparaît que sous le substantif « femme » dans la deuxième phrase, ou encore quand elle dit « mon sexe » pour parler de la gente féminine. Elle agit ainsi car elle ne parle pas en son nom propre mais se positionne en tant que porte-parole de toutes les femmes.
Elle remet en question le pouvoir de l’homme sur la femme et donc sa légitimité et se demande d’où lui vient ce droit de dominer la femme. Elle interroge alors son destinataire pour connaître l’origine de ce droit : lui vient-il de sa « force » ou de ses « talents » ? Elle sous-entend que ce n’est pas une raison suffisante pour régner sur les femmes.
Afin de bien appuyer ses propos et de souligner que l’homme n’a pas à avoir d’emprise sur la femme, elle donne des exemples concrets. Pour convaincre l’homme de se confronter à la réalité, elle argumente en lui donnant des injonctions précises. L’emploi de l’impératif avec « Observe », « parcours » et « donne-moi » montre non seulement que l’auteure donne des ordres à l’homme mais qu’elle insiste surtout sur sa manière d’agir. Il faut que l’homme regarde autour de lui et se rende compte qu’il n’existe pas dans la nature une telle tyrannie, une telle domination au sein de la même espèce.
De plus, « l’empire tyrannique » de l’homme s’oppose à la « sagesse » du « créateur » – Dieu – et à la « grandeur » de la nature. Ces éléments élogieux ne font que renforcer le blâme de l’homme ; d’autant plus que ces qualités divines et naturelles se distinguent des actions humaines tout en étant comparées sur un même pied d’égalité grâce au parallélisme de la construction. Les mêmes groupes syntaxiques sont repris avec d’un côté « Observe le créateur dans sa sagesse » et de l’autre « parcours la nature dans toute sa grandeur ».
Elle finit par défier l’homme « si tu l’oses » car elle sait pertinemment qu’il ne trouvera pas d’exemple d’une telle domination et qu’il n’y a que lui pour agir de manière si vile envers les femmes. Le défi et la provocation résident dans l’emploi de la proposition subordonnée circonstancielle de condition introduite par la conjonction de subordination « si » qui met en évidence une éventualité, une hypothèse. Olympe de Gouges laisse à l’homme la possibilité de la contredire mais elle sait très bien que cela ne se fera pas. Elle fait preuve d’une grande assurance.
2. Faire l’éloge de la nature pour mieux blâmer le comportement des hommes.
Dans ce paragraphe, Olympe de Gouges va insister sur les actions que l’homme doit réaliser afin qu’il puisse mieux se rendre compte de ses agissements et du fait que sa domination sur la femme n’est ni légitime ni naturelle.
L’auteure énumère plus précisément les observations que doit faire l’homme, tel un scientifique, en mobilisant quatre verbes conjugués à l’impératif : « Remonte », « consulte », « étudie » et « jette un coup d’œil ». Olympe de gouges veut que l’homme prouve la légitimité de sa domination en cherchant des exemples concrets dans la nature. Elle énumère, avec ces verbes, tout ce qui entoure l’homme tels que les « animaux », les « éléments », les « végétaux » et enfin la « matière organisée ». L’homme devrait examiner toutes les espèces vivantes s’il veut légitimer sa domination sur la femme. Or, il ne le pourra pas car elle lui dit clairement : « rends-toi à l’évidence ».
En outre, la démarche scientifique est une nouvelle fois de mise avec une énumération de verbes liés à l’examen minutieux de la nature environnante et surtout d’exemples relevant de la distinction de « sexes dans l’administration de la nature » : « cherche, fouille et distingue ».
Tout en demandant à l’homme de relever des exemples concrets de la domination du sexe masculin sur le sexe féminin, elle lui montre qu’il n’en est rien car elle dit « si tu le peux », ce qui sous-entend qu’il n’en a, in fine, aucune possibilité.
Avec ces mots (ainsi qu’avec « si tu l’oses » au premier paragraphe), Olympe de Gouges se positionne face à l’homme avec force et netteté. Encore plus quand elle affirme « je t’en offre les moyens » : elle renverse le rapport, non pas de domination, mais d’autorité sur l’homme. Elle veut ainsi lui prouver qu’il n’a aucune raison de dominer les femmes car aucune distinction n’existe.
Les hommes et les femmes devraient donc être égaux et avoir les mêmes droits. Cette idée est soulignée par l’anaphore de l’adverbe, « partout » elle montre qu’en tous lieux les sexes sont « confondus » et qu’ils « coopèrent ».
L’emploi du participe passé « confondus » permet à l’auteure de dire que dans la nature, les sexes sont mêlés à tel point qu’on ne les distingue pas.
En outre, le verbe « coopèrent » souligne l’idée d’une participation à une œuvre commune, qui là encore ne marque aucune distinction entre les sexes. Olympe de Gouges poursuit en disant que cette coopération s’établit « avec un ensemble harmonieux » afin de renforcer l’idée que c’est ensemble, main dans la main, qu’il faut procéder. Les hommes et les femmes devraient ainsi prendre exemple sur la nature afin d’agir avec cohérence et unité.
L’auteure achève ce second paragraphe en évoquant le « chef-d’œuvre immortel » de la nature. La métaphore artistique, par l’emploi du mot « chef-d’œuvre », met en exergue la perfection qui règne dans la nature, perfection complétée par l’adjectif « immortel » qui soulève l’idée que cette harmonie ne connaît pas de limite. Olympe de Gouges veut signifier que le rapport entre les hommes et les femmes devrait être le même que celui existant dans la nature entre les différentes espèces vivantes.
3. L’homme ignorant est le seul coupable.
Dans le 3ème paragraphe, Olympe de Gouges ne s’adresse plus directement à l’homme mais parle de manière plus générale en employant le terme générique « L’homme ». Elle ne lui dit plus comment il doit agir, mais fait le constat amer qu’il est le seul responsable de la situation actuelle qui distingue trop ouvertement les hommes et les femmes.
Elle commence par montrer que l’homme est responsable de la situation puisqu’elle précise bien : « L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception ». Ainsi, l’homme a décrété qu’il était différent des autres espèces vivantes et que cela légitimait donc sa domination sur le sexe féminin. En disant cela, l’auteure note encore une fois que rien dans la nature ne prédisposait l’homme à dominer la femme et qu’il est le seul coupable de cette situation.
Elle dévalorise ensuite l’homme en accumulant des défauts qui créent une gradation ascendante : « Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré ».
D’abord « bizarre », il s’écarte donc de l’usage commun, puis « aveugle », autrement dit, il agit sans discernement en suivant ses propres impulsions.
Il est ensuite « boursouflé de sciences », ce qui est connoté négativement. Olympe de Gouges veut signifier par là que l’homme est peut-être érudit mais que ses connaissances sont exagérées, qu’elles gonflent son ego et l’empêchent sûrement d’avoir du discernement.
Enfin, il est qualifié de « dégénéré », c’est-à-dire que l’homme a perdu ses qualités et qu’il s’est même dégradé. La gradation est ainsi formée par l’énumération de qualificatifs de plus en plus connotés négativement.
En outre, la virulence des propos de l’auteure se retrouve dans l’expression « dans l’ignorance la plus crasse ». En effet, le pire défaut est « l’ignorance » d’autant plus en cette période, « dans ce siècle de lumières et de sagacité ».
Le XVIIIe siècle est le siècle des Lumières, le siècle où la raison et l’esprit critique sont de mise pour lutter contre l’ignorance et l’obscurantisme. Le XVIIIe siècle est aussi celui de la perspicacité, de cette disposition que certains êtres humains ont à comprendre les choses les plus difficiles. Or, Olympe de Gouges dévalorise les hommes qui ont un vrai défaut de connaissance et dont le savoir est insuffisant.
Le mot « ignorance » permet ainsi de mettre à mal les prétendues connaissances de l’homme qui est « boursouflé de sciences ». L’ignorance des hommes est d’autant plus critiquable qu’elle est « la plus crasse » ; « la plus » est un superlatif qui est ici dévalorisant puisque l’adjectif « crasse » est employé pour un défaut qui atteint un très haut degré. Le fait de dire « la plus crasse » montre donc que l’homme est totalement ignorant voire le plus ignorant des êtres humains. Olympe de Gouges blâme l’homme qui s’est octroyé le droit de dominer les femmes.
Si dans le premier mouvement nous avions pu identifier le champ lexical de la tyrannie, l’auteure en parle encore à la fin de ce texte puisque nous relevons la phrase « il veut commander en despote ».
Il est clair que l’homme s’est arrogé un pouvoir absolu mais totalement arbitraire sur la femme d’autant plus que les femmes ont « reçu toutes les facultés intellectuelles », autrement dit, elles ont des capacités de réflexion et un esprit critique ; rien ne les prédestine donc à être inférieures aux hommes et encore moins à être dominées par eux.
Enfin, la volonté égoïste de l’homme est mise en évidence par l’emploi des verbes « veut », dans « il veut commander en despote », et « prétend », dans « il prétend jouir de la révolution », qui insistent bien sur son entêtement à satisfaire ses propres désirs : non seulement il souhaite diriger mais aussi profiter des avantages du contexte révolutionnaire.
Ce qui est paradoxal, c’est que l’homme veut également « réclamer ses droits à l’égalité » mais de quelle égalité parle-t-il alors ? D’une égalité exclusivement masculine ? Qu’en est-il des femmes ? Il n’en est pas fait mention puisqu’elles ne sont pas dignes de posséder, au même titre que les hommes, les mêmes droits et donc les mêmes revendications. Ainsi Olympe de Gouges achève son texte en écrivant : « pour ne rien dire de plus » pour signifier qu’égoïstement l’homme ne pense qu’à lui, qu’à son bien-être, pas à celui des femmes.
Conclusion
Le registre polémique du texte « Les droits de la femme » est mis au service des propos de l’auteure. En effet, tout en blâmant le comportement de l’homme, Olympe de Gouges fait l’éloge de la nature pour insister sur l’idée que l’homme s’est donné seul le droit de dominer les femmes. Ce texte, motivé par l’indignation, lui a permis d’interpeller directement l’adversaire, l’homme, pour le défier mais aussi pour le rendre coupable de ses agissements.
Le registre polémique est une arme argumentative déployée par les auteurs quand ils veulent défendre des idées ou des causes tout en discréditant leur adversaire. Si Olympe de Gouges s’en sert pour dénoncer la domination de l’homme sur la femme, Diderot, au chapitre II du Supplément au voyage de Bougainville (1796), donne la parole à un vieux tahitien qui, s’adressant à l’explorateur européen Bougainville, va attaquer son ethnocentrisme et sa prétendue supériorité en montrant que toutes les civilisations se valent et qu’aucune ne doit dominer l’autre.
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