Commentaire du portrait de Julien Sorel – Le rouge et le Noir
Le texte proposé est un extrait du Livre I chapitre IV du roman au programme Le Rouge et le Noir de Stendhal. Il s’agit d’une explication linéaire que l’élève est amené à réaliser lors de l’épreuve orale, et dont nous proposons ici un corrigé.
Préparer l’épreuve anticipée de français
Le commentaire linéaire est l’une des épreuves orale du nouveau baccalauréat, dont la méthode diffère considérablement de celle du commentaire composé, l’un des exercices soumis aux candidats à l’épreuve écrite.
Rappelons que la première partie de l’épreuve orale porte sur un extrait choisi par l’examinateur et comprend la lecture de celui-ci notée sur 2 points et l’explication linéaire notée sur 8 points. La seconde partie de l’épreuve comporte l’analyse d’un point de grammaire noté sur 2 points, un entretien sur une oeuvre choisie par le candidat parmi les œuvres indiquées dans le descriptif de la classe sur 8 points. Le candidat présente l’oeuvre pendant deux minutes, puis l’examinateur relance le candidat par des questions, afin de vérifier sa capacité à argumenter.
L’exercice du commentaire linéaire requiert une attention particulière aux mouvements du texte, autrement dit à sa structure qu’il convient de dégager, ainsi qu’une analyse des termes et de leur agencement, de la syntaxe ou encore du rythme des phrases. Tous les outils d’analyse (figures de style, focalisations, etc) sont les bienvenus pour saisir ce qui fait l’intérêt du passage à étudier.
Pour préparer au mieux l’oral de l’épreuve anticipée de français, nous invitons les élèves à venir assister dès la classe de seconde à nos cours réguliers de français qui se déroulent tout au long de l’année scolaire.
L’extrait à commenter
Extrait de Le Rouge et le Noir (I,4), de Stendhal (1830) :
Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et dans les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il n’en est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné l’idée à son père qu’il ne vivrait pas, ou qu’il vivrait pour être une charge à sa famille. Objet des mépris de tous à maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.
Il n’y avait pas un an que sa jolie figure commençait à lui donner quelques voix amies parmi les jeunes filles. Méprisé de tout le monde, comme un être faible, Julien avait adoré ce vieux chirurgien-major qui un jour osa parler au maire au sujet des platanes.
Notre analyse
Introduction
Stendhal, pseudonyme de Henri Beyle, est un ancien officier de Napoléon. Il est également un des romanciers majeurs du XIXème siècle qui met au cœur de ses romans la recherche du bonheur par l’amour, ce que l’on nomme le « beylisme ».
Le Rouge et le Noir sous-titré « Chronique du XIXème siècle » raconte la tentative de Julien Sorel, fils d’un charpentier de Franche-Comté, de s’élever dans la haute société grâce à son intelligence, son ambition et sa beauté juvénile. Ce roman réaliste que Stendhal considère comme « un miroir qui se promène sur une grande route » est aussi un tableau social et politique d’une société déchirée entre monarchisme et libéralisme.
Dans cet extrait tiré du livre I, chapitre IV, on découvre pour la première fois le héros romanesque Julien Sorel, un personnage sensible et instruit. Dans l’objectif de voir en quoi cet extrait contient en germe les principaux ingrédients du roman, il conviendra d’examiner cet extrait qui se déroule en trois temps :
- Du début jusqu’à « un air méchant » : est brossé un portrait physique et moral du personnage
- De « Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine » jusqu’à « il était toujours battu » : le narrateur met en avant les traits saillants du héros
- De « Il n’y avait pas un an » jusqu’à la fin : la fin de l’extrait offre à la fois la conclusion du passage et une ouverture que nous évoquerons.
Analyse linéaire
1ère partie
L’extrait s’ouvre sur un point de vue distancié, celui de la description à l’imparfait et à la troisième personne du singulier du héros Julien Sorel : « Il avait les joues pourpres et les yeux baissés ». Le rythme binaire de cette phrase joue sur une double dimension, ce que l’on voit du personnage d’une part « les joues pourpres » et ce qui est caché d’autre part « les yeux baissés » et qu’il s’agira de découvrir plus loin dans le texte.
Les phrases suivantes offrent un plan resserré sur l’apparence physique « des traits irréguliers » notamment le visage dont on repère le champ lexical : « le nez », « les yeux », « les cheveux », « le front ». On note une série d’épithètes qui présentent le personnage en clair-obscur. Des épithètes tantôt dépréciatives, tantôt mélioratives qui tendent à brosser un portrait nuancé de Julien, un « petit jeune homme … , faible en apparence », « des traits irréguliers mais délicats ». L’expression « et un nez aquilin » permet de clore ce portrait. Cette précision comme un point d’orgue introduit l’implicite du personnage développé dans les lignes suivantes. L’épithète « aquilin » autrement dit en bec d’aigle, établit une analogie entre le personnage et le rapace (l’aigle) pour en signifier l’ambition et d’une certaine façon l’amorce d’une stature sociale.
Au moment même où l’on découvre la couleur noire des yeux (« de grands yeux noirs ») qui contraste avec la couleur « pourpre » des joues et rappelle par ce jeu chromatique le titre du roman Le Rouge et le Noir, on prend connaissance de l’intériorité du personnage. Des sentiments à la fois positifs et négatifs qui influent sur son physique : la fougue amoureuse « le feu » que l’on peut mettre en relation avec le « pourpre » des joues ; la « haine la plus féroce » dont l’expression hyperbolique renouvelle le lien avec le rapace. Il s’agit à la fois de la « haine » à l’égard du milieu d’où Julien est issu et de l’ambition d’un milieu à conquérir. Enfin le sentiment de « colère » qui lui donne « un air méchant » souligne, y compris par la mise en apposition, le lien contrasté qui s’établit entre l’apparence physique du personnage et son intériorité .
Le paragraphe tout entier est focalisé sur la figure d’un personnage à ses débuts, dont on perçoit déjà la dimension héroïque. La phrase « de grands yeux noirs annonçaient de la réflexion » insiste sur la dimension sombre de Julien, tandis que le terme « réflexion » renvoie implicitement à sa lecture du Mémorial de Sainte-Hélène qui nourrit Julien jusqu’à en faire un personnage héroïque et tragique.
2ème partie
Le deuxième mouvement propose d’abord un plan large (« Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine ») qui progressivement se resserre sur le personnage de Julien, plus précisément sur sa « spécialité » la « plus saisissante ». On pourrait s’attendre à un portrait en pied positif annoncé par l’expression binaire « taille svelte et bien prise ». Il n’en est rien. Cette précision méliorative est immédiatement contrebalancée par le signalement d’une faiblesse : « plus de légèreté que de vigueur ».
Puis on découvre plus amplement ce qui est à l’origine de cette faiblesse grâce à l’analepse « dès sa première jeunesse » et la mise en oeuvre d’une focalisation variable. Le narrateur adopte de manière quasiment imperceptible les points de vue successifs (focalisation interne) du père – « son air extrêmement pensif avait donné à son père l’idée qu’il ne vivrait pas » -, puis de Julien – « Objet de …., il haïssait ses frères ». Ce qui est mis en évidence ici, c’est le drame social qui se joue au sein de la famille Sorel (le « père », « la famille », « tous », les « frères ») qui rejette le jeune homme. On remarque aussi que ce rejet est bilatéral : Julien est à la fois objet dans l’espace privé – « objet du mépris de tous à la maison » – et dans l’espace public – « sur la place publique, il était toujours battu » – et sujet – « il haïssait ses frères ». On observe que ce double rejet, engendré par « son air extrêmement pensif et sa grande pâleur » qui le disqualifie au sein de sa famille, est à l’origine du départ de Julien. Le drame (au sens d’action) du personnage se noue dès sa prime jeunesse. Le lecteur découvre le parcours de Julien à travers une perspective temporelle double et sous tension : un retour en arrière d’une part, une perspective d’avenir d’autre part, notamment par la double occurrence du verbe « annoncer ».
3ème partie
Le dernier mouvement, dont on note la tournure elliptique liminaire « Il n’y avait pas un an que », permet de clore cet extrait sur une tonalité positive au plan physique d’abord – « sa jolie figure », puis au plan sentimental – « quelques voix amies parmi les jeunes filles ». Implicitement on ne peut s’empêcher de penser à cette même présence féminine qui accompagne Julien lors de son procès à la fin du roman. On remarque ici, dans le texte, l’harmonie qui se dégage au sein du milieu féminin dans lequel le personnage s’inscrit. Harmonie au plan social également : « Julien avait adoré ce vieux chirurgien-major qui un jour osa parler ». On assiste à un moment charnière de la vie du personnage, une amorce de changement dans son parcours initiatique, qui se fait grâce à l’entremise de tierces personnes : « les jeunes filles », le « vieux chirurgien-major ». L’emploi du plus-que-parfait – « Julien avait adoré » – met en évidence ce qui était « Méprisé de tous » et ce qui n’est déjà plus. On a l’impression de découvrir un personnage en perpétuelle tension au sens propre (familial, affectif, social) et au sens figuré (une tension vers l’avenir).
Conclusion
Au terme de cette analyse, on se rend compte que cet extrait entièrement focalisé sur le portrait physique et moral du personnage contient en germe tous les ingrédients nécessaires à l’économie de ce roman initiatique. Il s’agit d’un portrait en clair-obscur annonciateur d’un destin à la fois héroïque et tragique. La multiplicité des points de vue donne une certaine épaisseur à ce personnage qui au demeurant se découvre au lecteur de manière progressive et relativement floue en réalité, ce qui peut contribuer à en faire un héros romantique.
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