Dom Juan : le classicisme, la religion, le libertinage, la critique
Voici une proposition d’exposé sur Dom Juan, la pièce de Molière parue en 1665.
Faire un exposé constitue un véritable atout pour les lycéens dans leur préparation au bac de français, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Des exposés peuvent être proposés aux élèves de première pour approfondir les notions clefs des œuvres étudiées, il leur est donc vivement conseillé d’en réaliser au cours de l’année de première.
Dans cet article, nous traiterons du thème de Dom Juan en quatre parties :
Le plan adopté tient compte de la présentation des points de vue de l’auteur sur le théâtre et du contexte historique.
Dom Juan est-il une pièce classique ?
La notion de classicisme
C’est sur le modèle du théâtre antique qu’un certain nombre de règles formelles sont élaborées au XVIIème siècle, notamment dans la Pratique du théâtre (1657) de l’abbé D’Aubignac et l’Art poétique (1674) de Nicolas Boileau. Ces règles qu’on appelle règle des trois unités (de lieu, de temps et d’action), règles du respect de la vraisemblance et de la bienséance ont à la fois une visée formelle et morale.
Le divertissement est perçu comme pouvant détourner dangereusement le spectateur de Dieu (les acteurs ne sont d’ailleurs pas enterrés religieusement) et l’éloigner de la vérité (le masque de l’acteur est synonyme de fausseté). Le respect des règles vise à contrer ce danger en mettant en avant un idéal moral (valoriser l’honnête homme capable de sagesse et de mesure) et un idéal esthétique symbolisé par l’harmonie (symbole aussi du règne de Louis XIV).
C’est dans ce cadre qu’il convient de replacer la pièce de Dom Juan. Il s’agit de voir en quoi et jusqu’à quel point cette pièce déroge à l’idéal de classicisme.
Le refus des règles
La pièce ne respecte aucune des règles énoncées. Molière bat en brèche l’unité de lieu. Le décor change d’acte en acte ; la durée de l’action dépasse les vingt-quatre heures et l’action elle-même n’est pas unique.
Pour ce qui est de la vraisemblance (le spectateur doit pouvoir croire à la réalité du déroulement de la scène), il en est de même : Molière fait intervenir le merveilleux avec la statue du commandeur. On parle précisément de « pièce à machines ». On a également la présence du spectre à l’Acte V et la terre s’entrouvre. On parle d’une pièce baroque bien plus que classique.
La bienséance qui est une condition de la vraisemblance n’est pas respectée dans la mesure où le comportement de Dom Juan est scandaleux, contraire aux valeurs qu’il est censé défendre. Il se moque de Done Elvire, du pauvre, de la religion. On a affaire à de véritables manquements aux règles édictées.
Les scènes 5 et 6 de l’acte V du spectre et de la statue illustrent parfaitement ce manquement aux règles. La statue de pierre parle et bouge ; Dom Juan meurt sur la scène ; l’action se déroule sur plusieurs jours puisque la statue dit : « vous m’avez hier donné parole » et par ailleurs l’action se déroule tantôt dans les appartements de Dom Juan (IV et V), tantôt dans espaces ouverts (forêts, ville, mer).
Dom Juan ou l’esprit du classicisme
De toute évidence, cette pièce n’est pas classique en vertu du non respect des règles.
La critique souligne deux idées à prendre en compte :
- D’une part, on considère cette pièce comme étant davantage baroque pour le goût de l’illusion ou du spectaculaire, de l’ambiguïté (tragique ou comique), du mélange des registres (dramatique – dans le sens d’action – comique et tragique) et du thème de la mort ou de la damnation.
- D’autre part, la critique souligne l’idée selon laquelle Molière privilégie « l’esprit du classicisme » en favorisant l’unité d’intérêt plutôt que l’unité d’action : un seul personnage sur lequel se concentre l’intrigue. En outre, le dénouement de la pièce est bien conforme aux lois du classicisme puisque l’ordre moral est finalement respecté.
Dom Juan et la religion
La religion de référence est le catholicisme, une religion d’Etat. L’athéisme n’est jamais avoué. Or le personnage de Dom Juan scandalise en 1665 par son comportement libertin, c’est-à-dire libre par la pensée au point de vouloir s’affranchir du dogme religieux et libre dans les mœurs puisqu’il est un séducteur invétéré.
Cette position est intenable au XVIIème siècle qui condamne l’athéisme. Il convient de noter cependant qu’au XVIIème siècle, de nombreux penseurs refusent d’admettre les dogmes des églises : les amis d’étude de Molière et le philosophe Gassendi qui enseigne les mathématiques au Collège de France suit les traces de Galilée qui a été condamné par l’Eglise en 1636 pour avoir affirmé « E pur si muove » (« Et pourtant elle tourne ») en parlant de la terre. C’est à la lumière de ce contexte que l’on peut apprécier la pièce de théâtre dont le dénouement sanctionne le personnage.
L’athéisme de Dom Juan ou le refus du surnaturel
L’athéisme de Dom Juan se manifeste essentiellement de trois façons :
- Par le mépris : acte III, scène 1, Dom Juan ne répond que par des onomatopées exclamatives à la question de savoir s’il croit en Dieu ou pas (Eh, Oui, Oui, Ah! Ah!). Par ailleurs, il ne réagit pas lorsque Sganarelle essaie de le convaincre (par des arguments) de l’existence de Dieu.
- Par son raisonnement rationnel : le raisonnement qu’il développe acte III, scène 2 fait pendant au raisonnement de Sganarelle. Il s’agit de la scène du pauvre. Son raisonnement (« deux et deux sont quatre ») est de type rationnel. Et Sganarelle de rétorquer : « Votre religion à ce que je vois est donc l’arithmétique ». On peut y voir une référence implicite au contexte signalé plus haut (le mathématicien Gassendi).
- Par son matérialisme : Dom Juan refuse de croire aux phénomènes tels que l’apparition du Commandeur (Acte I, scène 2). Il pense que c’est une mascarade ou une illusion d’optique (acte IV, scène 1) : « Nous pouvons avoir été trompés par un faux-jour ».
La scène du pauvre en vidéo :
Les provocations de Dom Juan vis à vis de la religion
Au moins à trois reprises, le comportement de Dom Juan constitue une provocation par rapport à la foi catholique :
- Il méprise le mariage qui est l’un des sacrements de l’Eglise. Par son libertinage de mœurs, il bafoue l’engagement solennel pris devant Dieu. Il pousse la provocation en multipliant les conquêtes et les mariages. Sganarelle dit à l’acte I, scène 1: « c’est un épouseur à toutes mains ».
- Dans la scène du pauvre (acte III, scène 2), Dom Juan méprise la charité chrétienne qui est une vertu. Le pauvre joue le rôle du croyant fervent et Dom Juan celui du diable tentateur qui demande au Pauvre de « jurer » pour obtenir un louis d’or. Or jurer équivaut à un blasphème.
- Il feint la dévotion à l’acte V scène 2 pour échapper à la justice du roi. Il joue le rôle du faux-dévot, celui même que joue Tartuffe (dont la pièce a été censurée). Cette hypocrisie heurte la religion de plein fouet.
La remise en question du dogme par la pensée
Dans la pièce, on s’aperçoit que la pensée de Dom Juan évolue en trois temps. Il passe de l’athéisme, au scepticisme pour en arriver au défi.
L’athéisme
Son athéisme initial se manifeste à travers son refus de croire en Dieu qui échappe à toute démonstration scientifique. Tout son discours consiste à ramener la religion à la superstition ou au mirage. Lorsque par exemple, il voit la statue du commandeur s’animer, il en conclut à un mirage.
Le doute
On remarque cependant que par moments, il doute : « Si le ciel me donne un avis, il faut qu’il parle plus clairement » (V, 4). Il cherche à attiser la colère de Dieu en multipliant les provocations sacrilèges (les multiples mariages, la scène du Pauvre).
Le défi
Enfin, avant le châtiment final, il défie le ciel : « non, non, il ne sera pas dit, quoi qu’il arrive, que je sois capable de me repentir » (V,5). Il rejette Dieu en toute lucidité d’où sa damnation finale dans la pièce.
Le duel : Dom Juan contre Dieu
La rhétorique de Dom Juan est fondamentale aussi bien dans les scènes de séduction que dans celles où il déploie une maîtrise particulière du langage religieux. Acte V, scène 1, il utilise tous les mots adéquats pour jouer devant son père une comédie, celle de la conversion. Donc son combat contre la religion se déploie au niveau des actes, des pensées mais aussi des paroles.
Ce combat qu’il mène peut être compris comme un véritable duel entre Dom Juan et Dieu. En effet, il dit: « C’est une affaire entre le ciel et moi » (Acte I, scène 2). Donc depuis le début, il s’agit de provoquer Dieu jusqu’à la sentence finale censée en quelque sorte prouver son existence : « Si le ciel me donne un avis, il faut qu’il parle un peu plus clairement, s’il veut que je l’entende ». La lecture de la sentence appartient en réalité au spectateur.
Dom Juan est un personnage scandaleux pour le siècle. Il remet en cause le dogme religieux par ses actes, ses pensées et ses paroles. Son jeu est complexe et bien souvent à double sens notamment dans les scènes où il joue l’hypocrisie de la conversion. En maintenant ce double jeu, Molière permet au spectateur de bien dissocier les termes de l’affrontement le laissant libre d’adopter la position qu’il voudra de façon avouée ou secrète.
Dom Juan et le libertinage
Au XVIIème siècle, un libertin (du latin « liber », « celui qui devient libre ») est un homme qui pense que Dieu n’existe pas et qui n’adhère pas au christianisme. Autrement dit, il est un libre-penseur qui remet en cause les dogmes et la religion dans ses sacrements ou ses rites et par extension un homme de mauvaises mœurs.
Le personnage de Dom Juan s’inscrit pleinement dans cette perspective par ses pensées et ses actes. Le personnage est repris du moine espagnol Tirso de Molina. Cela dit, Molière lui donne une épaisseur supplémentaire dans la mesure où Dom Juan représente la jeune aristocratie française qui entoure le jeune roi Louis XIV vers 1655. C’est parmi les aristocrates par ailleurs somptueusement habillés que Molière a trouvé les traits principaux de Dom Juan (le prince de Conti, Vardes, Bussy-Rabutin à titre d’exemples).
Dom Juan est un personnage historiquement daté. Sa révolte (par la pensée et par l’action) en fait un personnage de tous les temps. Il est certes damné mais cette damnation ne lui ôte pas une certaine dimension héroïque. C’est un personnage qui continue de séduire .
Le libertinage en actions
Le devoir d’inconstance
A plusieurs reprises, Dom Juan avance des arguments moraux et philosophiques qui légitiment son inconstance : nature, justice et exigence de liberté. Ces arguments permettent d’assimiler l’inconstance parmi les vertus. C’est la scène 1 de l’acte II qui est la plus représentative à ce sujet : la fidélité devient immorale et l’inconstance se change en vertu.
Le plaisir et la cruauté
Le plaisir de Dom Juan passe par la jouissance physique (I, 2). C’est le cas quand il cherche à séduire Charlotte (« dents amoureuses », « lèvres appétissantes »). La sensualité et la jouissance visuelle occupent le devant de la scène. Le mariage est l’étape ultime qui permet de posséder la conquête physiquement. La dimension visuelle est très importante au point de pouvoir parler de jouissance esthétique. Ces plaisirs rejoignent aussi un plaisir cruel : Dom Juan peut être vu comme un personnage qui aime faire souffrir.
En conclusion, la question du libertinage de Dom Juan participe de la création d’un mythe. Cela dit, le personnage est historiquement daté : il fait clairement référence à l’aristocratie de l’époque de Louis XIV. Par ailleurs, il est le vecteur d’une rébellion contre la religion d’état, le catholicisme. C’est à ce double titre que la pièce est scandaleuse et qu’elle sera censurée.
Dom Juan, réception et critiques
La comédie Dom Juan est représentée à la salle du Palais – Royal, le 15 février 1665. Molière (de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin) a 43 ans et une longue expérience d’auteur, d’acteur, de metteur en scène et de directeur de troupe (L’Illustre-Théâtre). Il est déjà connu pour ses pièces Les Précieuses ridicules (1659), L’Ecole des femmes (1662) et Le Tartuffe (1665) aussitôt interdit. D’autres pièces à succès (une trentaine environ) suivent parmi lesquelles : Le Misanthrope et Le Médecin malgré lui (1666), George Dandin (1668), Le Bourgeois gentilhomme (1670), Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes savantes (1672) et Le Malade imaginaire (1673). Molière meurt en 1673.
Dom Juan, une pièce scandaleuse
La pièce Dom Juan fut composée en 1665 en quelques semaines en pleine cabale contre Tartuffe, comédie interdite l’année précédente. Molière s’inspire d’un sujet à la mode sur la base d’un personnage créé par Tirso de Molina. En France et en Italie, le sujet sera repris dans cinq pièces environ.
Molière donnera à cette pièce une forme peu classique. La règle des trois unités ne sera pas respectée. Or au XVIIème siècle, les doctes ne jurent que par la règle des trois unités. D’un point de vue formel, la pièce heurte les esprits.
Par ailleurs, le personnage de Dom Juan, le libertin par excellence de par ses mœurs et son libre-penser met à mal le dogme religieux. Le catholicisme, religion d’état, est remis en cause dans ses fondements (le sacrement du mariage par exemple). Il met à mal également l’aristocratie qu’il est censé représenter.
Au-delà de la critique de la religion et de la négation de l’existence de Dieu (que Dom Juan renie et défie), la pièce dénigre les médecins (III, 1). Sganarelle déguisé en médecin, forme avec Dom Juan un couple satirique idéal : tous deux fustigent la médecine qu’ils assimilent à une superstition.
Critiques posthumes de la pièce
La pièce remet donc en cause les fondements de la médecine, de la religion d’Etat et de l’aristocratie d’où la censure dont la pièce sera immédiatement l’objet. La pièce connut un retrait après quinze représentations seulement, si bien que l’on ne connaît pas de véritables commentaires.
Il faudra attendre les critiques des XIX et XXème siècles, de Théophile Gautier en 1841 qui en parle comme d’un « drame moderne » et souligne l’importance du fantastique. Roland Barthes et François Mauriac parleront en 1958 de l’athéisme de Dom Juan. Un athéisme qui en 1665 est inavoué.
On peut enfin dire que le personnage de Molière consolide le mythe de Dom Juan. C’est à partir de ce personnage que l’on parlera de donjuanisme. La critique souligne par ailleurs que le Dom Juan de Molière doit beaucoup au Don Giovanni de Mozart.
Enfin on peut rappeler quatre mises en scènes célèbres : Le Dom Juan de Louis Jouvet (1947), le Dom Juan de Jean Vilar (1953), celui de Marcel Bluwal (1965) et de Roger Planchon (1980).
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Vous faites du bon travail continuez et bon courage.
Merci beaucoup !